vendredi 3 avril 2015



Andreas LUBITZ, 
symbole du suicide de l’Europe


Il voulait être célèbre et il a réussi : en jetant délibérément, depuis son siège de copilote, son A320 contre une montagne des Basses-Alpes, Andreas Lubitz a réussi à faire la une de tous les médias européens. Il a fait mieux que Andy Warhol, qui avait prophétisé dans les années 60 : « A l’avenir, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale[1]. » Dans le paradis des suicidés, il se réjouit du bon tour qu’il a joué à ses contemporains.

Car il s’agit d’un suicide. Même si les pouvoirs publics et son employeur – la compagnie low-cost Germanwings – ont mis un certain temps à le reconnaître. Après avoir éliminé la piste de l’attentat, les enquêteurs ont interrogé tous ses proches. Et notamment, une ancienne petite amie, Maria W., une hôtesse de l’air de 26 ans. A la nouvelle du drame, celle-ci s’est souvenue qu’Andreas Lubitz lui avait dit : ''Un jour, je vais faire quelque chose qui va changer tout le système, et tout le monde connaîtra mon nom.''

Le suicide d’Andreas Lubitz risque-t-il de faire école ? Verra-t-on demain le conducteur d’un TGV foncer délibérément sur un train à l’arrêt dans une gare ? Faut-il craindre qu’au sortir de la Place de la Concorde, un chauffeur de la RATP – l’emblématique compagnie des autobus parisiens – plonge délibérément son véhicule avec tous ses passagers dans la Seine ? Plusieurs études confirment que le suicide peut être contagieux.

Après la publication en 1774 du roman de Goethe, Les Souffrances du jeune Werther, dont le personnage principal se tire une balle dans la tête après avoir été repoussé par celle qu’il aimait, nombre de jeunes Allemands mirent fin à leur jour de la même manière[2], en utilisant un pistolet – et en poussant même le mimétisme de s’habiller, comme leur mentor, de bleu et de jaune, juste avant de passer à l’acte !



Plus près de nous, le 25 avril 1975, la mort du chanteur israélien Mike Brant, qui s’est jeté du 6ème étage d’un immeuble de la rue Erlanger dans le 16ème arrondissement de Paris (on va bientôt fêter le quarantième anniversaire de sa disparition : attention !) a donné lieu à quelques suicides « par imitation ». Lesquels furent rapportés a minima par les organes de presse, conscients qu’une trop grande publicité pouvait générer une contagion.

 Car le suicide d’Andreas Lubitz pose aux journalistes un problème éthique : comment rendre compte d’un suicide sans provoquer des conduites d’exemplarité ? Destiné aux professionnels des médias, la très sérieuse Organisation mondiale de la Santé s’est d’ailleurs fendue d’un rapport[3] sur la question. En tout cas, au spectacle de l’intense couverture médiatique qui a suivi le geste d’Andreas Lubitz, toutes les réserves, tous les interdits ont sauté. En deux mots : Andreas Lubitz a fait de l’audience.


Mais si les médias ont complaisamment surfé sur l’événement, le couvrant sous tous les angles, reconstituant minute par minute son vécu avant le crash (on assure même que son rythme respiratoire est resté stable), aucun ne s'interroge sur la signification de l’événement. Car au-delà de ses composantes de fait-divers tragique, le geste d’Andreas Lubitz va modifier les comportements de tout un chacun.

Désormais, plus personne ne prendra l’avion comme avant. Au moment de mettre pied à bord de l’appareil, faudra-t-il demander aux hôtesses : « Connaissez-vous le pilote ? Est-ce qu’il va bien ? » Les compagnies d’assurances vont s’empresser d’étudier le coût de la couverture de ce nouveau risque. Les responsables des ressources humaines des compagnies aériennes vont devoir inventer toute une nouvelle batterie de tests pour dépister et prévenir toute tendance à l’irréparable.


Mais il y a plus. Le geste d’Andreas Lubitz intervient au premier plan d’une toile de fond où le concept de « suicide » est très explicitement employé par nombre de médias dans leurs analyses des aléas de la politique française et européenne. Andréa Lubitz – et son comportement masochiste et criminogène – vient alors incarner un continent qui a perdu ses repères, et dont les pilotes ont perdu tout contrôle.


Jugez-en plutôt, et ça ne date pas d’hier. En 2008, Bruce Thorton, professeur d’Université en Californie, affirme que « L’EUROPE VA MAL, ELLE SE SUICIDE LENTEMENT » – phrase reprise en titre dans une interview donnée le 28 février de cette même année à la National Review[4]. Cet auteur inaugure un nouveau concept : « L’“épuisement civilisationnel“ qui frappe l’Europe l’empêche de défendre ses valeurs et ses idéaux. La mort pourrait s’étaler sur des décennies et donner lieu à de grandes violences. » Et d’ajouter (c’était il y a 7 ans !) : « La réponse placide à la terreur djihadiste et aux attaques par les musulmans européens contre ces mêmes idéaux est également un signe d’une civilisation épuisée qui refuse de se défendre. »


Plus près de nous, le très sérieux Monde diplomatique du 28 mars 2014 consacre un long article titrant « Le suicide politique des socialistes français. »  Dans les médias de gauche, à propos de cette même crise européenne, il n’est pas rare de trouver en tête d’article des phrases comme « Merkel entraîne l’Europe vers le suicide collectif[5]. » 


Et dernièrement, certains journalistes proches du groupe Novopress qualifient de « suicide » la décision du Parlement européen, au motif qu’elle a confié sa politique d’immigration à Kyenga Kashetu[6]. Cette citoyenne italo-congolaise, et ancienne ministre de l’intégration du gouvernement de gauche d’Enrico Letta, est désormais député européen. On pourrait trouver d’autres exemples où les médias tirent la sonnette d’alarme. 

Le comportement d’Andreas Lubitz n’a donc rien d’un épiphénomène. Réduire son acte à celui d’une maniaco-dépressif avide de publicité, c’est refuser de voir qu’il s’inscrit dans tout un environnement suicidogène, dont les médias se sont simplement fait l’écho. Bien au contraire, le comportement d’Andreas Lubitz est en phase avec le déclin européen, annoncé et entamé depuis longtemps. Son geste dramatique et criminel s’inscrit parfaitement dans le contexte émotionnel d’une Europe qui n’est plus le berceau et le phare de la civilisation mondiale. 


En Israël, pays où l’on préfère la vie – et où les attentats-suicides n’ont pas entamé le moral de la population – si on déplore le sacrifice inutile de 150 passagers (dont un Israélien), certains ont commenté avec justesse : « Heureusement qu’il n’était pas juif ! S’il l’avait été, sur certains réseaux sociaux on aurait pu lire : premier attentat suicide juif en terre de France. D’innocents citoyens allemands pris en otage et sacrifiés. La piste d’une vengeance contre les Allemands, responsables de la Shoah, n’est pas écartée… »





[1] L’outil internet, et notamment You Tube, permettent à présent à n’importe qui d’être vu – et donc reconnu – par des millions de personnes en un temps record.
[2] Deux psychologues américains ont approfondi la question. Voir Schmidtke A. et Häfner H. “L'effet Werther après les films de télévision : de nouvelles preuves pour une vieille hypothèse", Psychol Med (1998).
[3] Consultable sur http://www.who.int/mental_health/media/en/426.pdf
[4] http://pointdebasculecanada.ca/leurope-va-mal-elle-se-suicide-lentement/.
[5] http://www.gauchemip.org/spip.php?article24159.
[6] http://civilwarineurope.com/2015/02/28/suicide-europeen-le-parlement-europeen-confie-la-politique-dimmigration-a-kyenge-kashetu/.